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{center {i (Reproduction d'un [[texte|data/Ceci_nest_pas_une_pipe.pdf]] créé par Jean-Pierre Vidal) }} _h1 Lettre aux chevaux de fiacre{note_call 1} _h3 {i Jean-Pierre Vidal, Perpignan, le 19 janvier 2024} {center {img {@ src="data/magritte.jpg" height="190px"}} {img {@ src="data/jew_hole.jpg" height="190px"}} } ;; _img data/magritte.jpg ;; _img data/jew_hole.jpg _p Voilà deux images susceptibles d’illustrer mon point de vue sur la {i clinique du traumatisme} d’une part et sur la différence fondamentale entre la {i psychologie et} la psychanalyse d’autre part. {uncover data/magritte.jpg 20 400 Magritte} _p {b - La première de ces images} est la reproduction d’un tableau bien connu de R. Magritte. La phrase inscrite au bas du tableau est à première vue déconcertante. Il s’agit en effet bel et bien d’une pipe ; ça crève les yeux. Prétendre que « {i ceci n’est pas une pipe} » va à l’encontre de ce qui saute immédiatement aux yeux et s’impose. On peut dire que la pipe accapare toute notre attention et prétendre qu’il ne s’agit pas d’une pipe défie le bon sens. Qui peut prétendre qu’il ne s’agit pas d’une pipe ? Sans erreur possible (quant à l’identification de l’objet), c’est une pipe ! _p Et pourtant, si au bas de son tableau R. Magritte avait écrit : « ceci est une pipe », il aurait menti et nous aurait (sans nul doute) induit en erreur. {i Ceci n’est pas une pipe}, parce que {b ceci} est un tableau ; c’est même avant tout un tableau quelles que soient les représentations (les illustrations) qui figurent sur celui-ci. Et ce qui importe c’est le sens de celui-ci. À ce propos, on peut légitimement dire que «représenter une pipe est loin d’épuiser la signification de ce tableau ». Ce sens réside (ici) dans l’intentionnalité du peintre et notamment par rapport à l’idée qu’il se fait de ce qu’est la peinture, qu’on ne saurait confondre, par exemple, avec la photographie dont la fonction apparente (ou première) consisterait à reproduire exactement et fidèlement ce qui est, telles que sont les choses, les personnes, les scènes qui les rassemblent, saisies à un moment particulier, dans un cadre donné. Dans ce cas singulier la fonction manifeste consiste à enregistrer la plus complète objectivité de l’instant. L’objectivité manifeste et incontestable exclut tout commentaire et toute interprétation. C’est ça ! Un point c’est tout ! Que dire de plus ? d’autre ? _p En revanche, la pipe n’est ici qu’un prétexte (autrement dit une apparence quelconque, interchangeable) qui cache le sens et n’a, en tant que telle, pas le moindre intérêt, si ce n’est celui de provoquer notre réflexion, notre rêverie,… ; c’est donc essentiellement une invitation à penser (au-delà de ce qui est exposé, présenté, représenté) ! _p Le récit détaillé d’un drame, d’une catastrophe, d’une situation dite (ou qualifiée de) traumatique risque, par les effets produits, induits, de compassion, d’apitoiement, d’indignation…, de fixer notre attention sur les évènements proprement dits et de détourner celle-ci de ce qui s’est joué (de l’exercice de la fonction symbolique particulièrement malmenée, désorientée, déchirée…) pour un sujet dans ces circonstances. Si on ne peut effacer de la mémoire ce qui s’est passé, en provoquer l’oubli, en modifier les faits, minimiser la gravité des évènements… que peut-on entreprendre ? Se poser la question c’est déjà une manière de se dés-assujettir de la captation fascinante et aliénante de la scène (et du déroulé méthodique et successif des évènements). {uncover data/jew_hole.jpg 20 400 Jew hole} _p {b - La seconde image} est une photographie extraite du film autobiographique de S. Spielberg, {i Les Fabelman}. Ce film est une réflexion (à 70 ans passés) sur l’origine de sa passion cinématographique, banalement et naïvement imputée à un traumatisme infantile qui aurait laissé une empreinte ineffaçable ! Le jeune Steven fut très impressionné, en effet, au cours de la projection d’un film sur grand écran. Il n’avait alors que 5 ans, c’était sa première expérience cinématographique. Le film auquel ses parents avaient cru bon de l’entrainer (malgré ses réticences) était projeté dans une grande salle et l’histoire reproduisait dans une mise en scène spectaculaire un terrible et terrifiant accident de train. Il mit beaucoup de temps à se remettre de l’émotion provoquée par ce déraillement et ses effets. La caméra familiale et la reproduction filmée d’accidents mis en scène et plusieurs fois répétés grâce à son train électrique furent alors une sorte de thérapie ; une manière censée permettre, selon sa maman, la maitrise de la peur panique éprouvée ! _p Apparemment, il fallut une vie à Spielberg pour comprendre l’inutilité des répétitions{note_call 2} transposées sur les histoires en images (même si celles-ci furent, entre-temps, un bonheur pour les cinéphiles). Il lui fallut une vie pour comprendre les impasses de cette voie jusqu’à ce qu’il découvre le souvenir d’une scène survenue au cours de son adolescence et dont l’antisémitisme imbécile aurait dû le mettre sur la piste de ce qui est en jeu dans le traumatisme et qui ne concerne pas directement l’événement lui-même ou en tant que tel. {i Dérailler} consiste à ne pas suivre la bonne voie, à s’écarter de la ligne, du bon rail, voire à déraisonner. Cela ne peut conduire qu’à la catastrophe. Celle-ci préfigure et suggère déjà métaphoriquement que c’est dans la métaphore elle-même et non dans les évènements qu’il convient de s’engager. C’est l’événement, mais comme métaphore ou comme allégorie, qu’il convient d’interpréter. _p En revanche, la voie à prendre lui fut pourtant suggérée incidemment par la bévue de l’antisémitisme assimilant par stupidité le juif au vide d’une cavité. Sans doute cet adolescent - porte symptôme de la résistance épistémologique séculaire - témoignait-il que « la nature a horreur du vide » et que c’est justement ce rapport (haineux) au vide qui crée une dichotomie culturelle fondamentale (cassant et partageant désormais le monde occidental en deux). Tout se passe comme si les juifs étaient suspectés d’être «saisis par le frisson glacial de l’abstraction» (selon le mot de Nietzche) au point de se poser la question saugrenue : « de quoi le vide est-il plein ? »{note_call 3}. Question pour le moins oiseuse pour ceux dont les croyances fondées sur l’évidence des faits matériels réfutent qu’il puisse y avoir un autre monde, une réalité autre, voire une réalité « absente » ; tant il est vrai pour certains que «le réel est sans double» (C. Rosset) ! En dehors de ce qui est effectif, tangible, patent, matériel, pour tout dire, il n’y a rien, si ce n’est du spéculatif, autrement dit du factice, de l’irréel, du virtuel, du fantomatique. Comment peut-on parler, évoquer les contenus de l’inconscient et prétendre comme J. Lacan que « la besace du ça est {i vide} » ? «Non, jamais tu ne plieras de force, les non-étants à être »{note_call 4}, affirme Parménide ! Comme le rappelle E. Klein (citant ici C. Rosset) , Parmènide, de son propre aveu ne s’est jamais intéressé qu’à un seul concept, le réel, et n’a jamais proclamé qu’un seul credo: «la réalité est à la fois totale et seule». {i L’empirisme positiviste} se nourrit de l’interprétation implicite intolérante et simpliste de ce point de vue. C’est là la philosophie sous-jacente de sa pratique. Quant au vide, qui n’est pas rien, sans être pour autant quelque chose : «il apparaît, nous rappelle E. Klein, comme dépendant directement du mobilier ontologique de la théorie physique que l’on choisit comme référence.» ({i Matière à contredire}. Editions de l’Observatoire. 2018, p. 89) «Par exemple, selon la physique quantique, le vide n’est pas l’espace vide. Il apparaît rempli de ce qu’on pourrait appeler de la matière “fatiguée”, constitué de particules bel et bien présentes mais n’existant pas réellement. Ce sont des sortes de fantômes, agités, certes, parkinsoniens même, mais qui ne possèdent pas assez d’énergie pour pouvoir vraiment se matérialiser et qui, de ce fait, ne sont pas directement observables. Ces particules dites “virtuelles” s’ébrouent végétativement dans une ontologie fatiguée, telles des {i Belles au bois dormant}. Pour les faire exister vraiment, il faut leur donner l’énergie qui manque à leur pleine incarnation…» ({i op. cit.}, p. 89) _p Cette image triviale du Donut condense et résume le fond idéologique de l’antisémitisme. Il convient pour en découvrir le sens latent de dépasser les faits voire l’indignation qu’elle peut susciter. Quel sens cette image au-delà des apparences révèle-t-elle ? Nous ne perdrons pas de vue, à ce propos, que la scène en question se déroule dans l’enceinte d’un collège, mais dans une pièce attenante à la salle réservée aux activités physiques, corporelles. Le groupe des jeunes vient, dans cet espace de transition, se changer (revêtir une autre tenue, - changer de perspective ?) avant d’aller en cours suivre un enseignement (constitué de connaissances qui sont censées {i ne pas tomber sous le sens}). C’est en ouvrant la porte de son casier que le Donut suspendu à une cordelette saute au visage de Sam/Steven et laisse celui-ci littéralement interloqué. _p Manifestement {i l’antisémite} (tel qu’il s’incarne dans le camarade de Sam/Steven) donne à voir qu’il n’a d’intérêt exclusif que pour ce qui est matériellement solide, résistant, consistant, dont on peut se nourrir tant au propre qu’au figuré ; seuls les faits tangibles alimentent et justifient ses actions. « Il n’y a rien à voir au-delà de ce qu’on voit !», résume J-M Ferry, selon lequel « rabattre la réalité sur la scientificité» et penser que «l’environnement est dépourvu d’invisible, voilà qui signe le désenchantement du monde». ({i Qu’est-ce que le réel ?} 2019, p. 32) Il n’est donc pas surprenant qu’un personnage de {i Voyage au bout de la nuit} (1932) de L. F. Céline (antisémite notoire) puisse dire : «Il y a beaucoup de folie à s’occuper d’autre chose que de ce qu’on voit.»{note_call 5} On pourrait objecter à ce point de vue qu’en ne s’intéressant qu’à la réalité manifeste des bords qui encerclent le trou, {i l’antisémite} se tient résolument sur le bord ! À la lisière, il contourne et évite ce qui pourrait déranger ses certitudes ou porter atteinte au dogme de ses croyances épistémologiques. _p À l’opposé ({i a contrario}, par contre) le {i Juif} n’est censé ne s’intéresser qu’au vide, au trou (à cet {i autre monde infiniment lointain, lieu intelligible, atopique{note_call 6} ?}), à ce qui est invisible, (absent, manquant), ou à ce qui est {i sans être tout à fait} ! Ce serait même le propre de la {i pensée talmudique} (sic) à en croire les griefs voire les anathèmes adressés en leur temps à la démarche décrétée {i pseudo-scientifique} d’Einstein{note_call 7}, par des collègues physiciens et détenteurs (par ailleurs) d’un prix Nobel ! Serions-nous entrés dans une nouvelle ère épistémique ? Est-ce cette fracture entre deux manières de connaître qui faisait dire à Nietzsche que le monde s’est cassé en deux ?{note_call 8} _p Quoi qu’on en pense et quelle que soit la nostalgie pour l’induction{note_call 9} et les sciences expérimentales, il s’avère que les mathématiques qui sont censées décrire la réalité ne sont pas la simple {i sténographie du réel}{note_call 10} rendant compte de celui-ci de façon abrégée, formalisée, mais permettent de définir des entités nouvelles, «de faire apparaître de nouveaux éléments de réalité», « parfois impossibles à figurer à partir des images que nous propose la réalité observable.» (E. Klein, 2018, p. 126-127) «En d’autres termes, la théorie en dit “plus” que les données…» ! (E. Klein, p. 120) On se souviendra, à ce sujet, que l’anagramme de la {i chute des corps} est {i hors du spectacle}, tant il est remarquable que {i la vérité} de la chute des corps ne doit rien à l’observation ou à l’expérimentation, rappelle avec insistance E. Klein{note_call 11}. Par ailleurs, on conviendra désormais que : « “les choses” dont parlent les physiciens ne sont pas palpables comme sont les choses ordinaires : leur matérialité concrète et dure, leur corporéité tangible semblent s’être toutes deux dissoutes sous les traits d’équations éthérées. » (p. 127) Et A. Einstein en vient à se poser la question : «comment est-il possible que la mathématique […] indépendante de toute expérience, puisse s’adapter d’une si admirable manière aux objets de la réalité ? La raison humaine, serait-elle capable, sans avoir recours à l’expérience, de découvrir par la pensée seule les propriétés des objets réels ?»{note_call 12} _p Agissant comme un {i treuil ontologique}, selon l’expression empruntée à E. Klein, ce que les mathématiques (au service de la {i physique théorique}) ont établi - et que l’expérience a confirmé {i a posteriori} -, c’est l’existence d’une réalité {i autre, au-delà}, et notamment «qu’une chose puisse être réelle sans être un corps matériel» (E. Klein. 2019, p. 49), que le vide est peuplé, «truffé» même d’étranges particules, créatures «à la fois présentes et pas tout à fait réelles…» (p. 14), «presque des choses», mais témoignant de {i ce qui est sans être tout à fait !} Dès lors l’invisible, ce qui est hors de notre vue, peut être plein de ce qu’on ne voit pas, mais dont les existences possibles nous demeureraient ordinairement inaccessibles. Comme le souligne J-M. Ferry dans {i Qu’est-ce que le réel ?} (2019), cette hypothèse est subordonnée à la condition d’intégrer {i a minima} les résultats fondamentaux des sciences contemporaines (p. 33). Celles-ci nous contraignent, en effet, à réviser nos certitudes concernant la nature du réel (p. 36-37), tant il est établi désormais que «ce que l’on considère comme réel ne se limiterait plus à une matérialité physique, à une existence tangible en général.» (p. 10-13), au point de devoir convenir, «qu’il n’existe pas qu’une seule modalité corporelle possible» (p. 160), que «notre univers visible n’est qu’une infime partie de l’univers réel» (p. 44) Ainsi, « notre conception de la réalité… se dilaterait au-delà du visible» (p. 13). Si «l’image de la réalité se dilate considérablement» (p. 45), c’est qu’il existe plusieurs dimensions, plans ou niveaux de réalité. On ne saurait dès lors en rester à la devanture des apparences, quel qu’en soit le spectaculaire, le dramatique, l’intérêt ou la considération qu’elle appelle, les dividendes qu’elle en attend ou en espère, voire se laisser fasciner par l’étalage littéral des torts et avanies endurés, quelle que soit la curiosité qu’il est présumé provoquer et entretenir. _p Toutefois, il me reste à préciser, afin d’éviter ici tout malentendu, qu’il ne s’agit pas de confondre les particules quantiques, voire les corps «plus faiblements incarnés», décorporéisés, immatériels, {i subtils, volatils, quasi spirituels}, comme ces particules «virtuelles» qui s’actualisent dans l’acte d’objectivation de la mesure, ou ces particules {i fantomatiques} du vide qui s’incarnent sous l’effet éphémère d’une fluctuation énergétique, par exemple, avec «l’être des non-étants » (Platon, {i Le Sophiste}, 162, a), ces phénomènes psychiques comme le rêve, les fantasmes, les délires, les hallucinations, - «l’inexistant en somme» (D. Parrochia, Le réel, p. 126) -, autant « de phénomènes que n’explique pas l’assignation de la pensée à une activité cérébrale » (J-M. Ferry, p. 159), mais où « l’esprit paraît planer en surplomb des fonctions cérébrales» ! _p Il ne s’agit pas de laisser soupçonner une homologie entre les entités paradoxales que découvre la physique contemporaine et les réalités psychiques telles que la psychanalyse s’autorise désormais à les concevoir dans le cadre d’une métapsychologie de troisième type associée (articulée) à ses extensions et singulièrement aux enjeux décisifs de la groupalité{note_call 13}. Mais «les résultats fondamentaux des sciences»…, - singulièrement de la {i physique contemporaine} - concernant {i l’espace, le temps, le vide, la matière, la causalité, le déterminisme, le réel} en général, non seulement proposent des aperçus insolites, déstabilisant pour le sens commun, mais oblige la philosophie à les prendre en considération comme autant de {i données nouvelles} et partant à réviser ses certitudes dans sa conception de la métaphysique et singulièrement dans sa réflexion ontologique{note_call 14}. Admettre que : «ce que l’on considère comme {i réel} ne se limiterait plus à une matérialité physique», « à une existence tangible en général», (J-M. Ferry, p. 12-13), que cette dernière n’est tout au plus qu’« une devanture {i dense}» (p. 45), et dès lors «que notre {i précompréhension ontologique} se dilaterait au-delà du visible» (p. 13), nous impose de prendre nos distances par rapport à un {i a priori empiriste} dans la clinique, plus proche du scientisme que de la scientificité. Il s’agit par là même de réviser notre épistémologie dès lors que nous devons convenir qu’«il existe des situations où ni le temps ni l’espace ne peuvent empêcher des entités distinctes de vibrer ensemble » (E. Klein. {i Courts-circuits.} 2023, p. 75), «que deux particules qui ont interagi dans le passé sont {i intriquées} : elles ont des liens que leur distance mutuelle, aussi grande soit-elle, ne suffit pas à atténuer…. Elles constituent un tout inséparable : ce qui arrive à l’une, où qu’elle se trouve dans l’univers, affecte immédiatement l’autre, {u si éloignée soit-elle}{note_call 15}. La paire formée par les deux particules a des propriétés globales que n’ont pas les particules individuelles : le tout est plus que l’ensemble de ses parties.» ({i ibid.} p. 74) Certes, les particules (même {i élémentaires}{note_call 16} !) ne sont pas des individus, mais, par ailleurs, on ne peut plus considérer non plus les individus comme des entités distinctes, séparées et autonomes. Et M. Houellebecq n’a pu éviter ces rapprochements ou ces transports métaphoriques du sens propre au sens figuré. Quant à E. Klein (2023) il ne peut s’empêcher, pour illustrer ce phénomène de l’intrication quantique, ou de la non séparabilité d’évoquer régulièrement depuis 20 ans{note_call 17}, ce qu’il appelle : « {i l’effet Rolling Stones} » (2004, p. 89-96) Ainsi : «Les Stones forment une totalité qui est bien plus que l’addition de ses membres.» (2023, p. 75) ; «car les Stones sont bel et bien intriqués, et les preuves sont là : toutes leurs aventures en solo ont été des désastres, aucun d’eux n’étant capable de porter à lui seul le halo symbolique qui entoure leur sexagénaire formation.» (2023, p. 75) _p Quant à Blaise Pascal qui s’est si fortement et décisivement impliqué dans la problématique scientifique concernant le vide et la pression atmosphérique{note_call 18} et conjointement sur les rapports de cette réalité physique avec le corps et l’esprit : «ce n’est pas la nature, (1975), {i c’est la pensée qui a horreur du vide}. Le vide n’est plus l’absence, l’impensé, l’innommable », écrit D. Anzieu, dans son article sur « Naissance du concept de vide chez Pascal{note_call 19} » (p. 278). On peut dire que : « Le vide extérieur, affirmé comme concept physique, l’a aidé au niveau préconscient pour saisir et formuler l’existence, au cœur de la réalité psychique, d’un vide intérieur.» (p. 283) «Telle est la circularité des découvertes humaines !{note_call 20} », note Anzieu (p. 283). Si : «l’homme est naturellement porté au dehors de lui-même, (c’est) parce que les choses extérieures l’attirent, et par ce qu’il peut ainsi se fuir.» (p. 282) Ce vide intérieur lié à l’angoisse du vide inhérente au sentiment de solitude et de déréliction est décrit par Pascal comme une angoisse dépressive intrinsèque. Dès lors l’intérêt philosophique et psychanalytique du passage, dans {i Les Pensées}, relatif à l’agonie de Jésus, écrit D. Anzieu, c’est qu’il rend l’angoisse pensable ! Rendre l’angoisse pensable, tel est l’enjeu. Telle est la tâche qui incomberait au psychanalyste. {i Guérir la pensée} passerait-elle avant celle des symptômes ? De quoi la pensée serait-elle affectée ? De quelle maladie funeste serait-elle victime, si ce n’est de la capacité à s’exercer, comme lorsqu’elle se fige ou se paralyse dans la pétrification que génèrent les évènements, la sidération que provoquent les faits. La pensée est alors enfermée dans le sens littéral du donné (tel qu’il s’impose), piégée sans pouvoir se départir de l’évidence du premier degré de la réalité manifeste. Tels sont les faits ! et il ne saurait y avoir un sens au-delà ! Or, ce qui se trouve compromis dans le refus d’un sens au-delà, d’un sens sous le sens, c’est un quelconque recours à la métaphore, à l’allégorie, à la parabole, à la symbolique… qui révèlerait en revanche l’hypothèse implicite que le sens ne se limite pas aux apparences y compris les plus manifestes, mais témoigne déjà du soupçon d’un second, voire d’un troisième degré, etc. Dès lors, si on peut requérir (du praticien) la nécessaire perspective de la «géométrisation des apparences» ou l’indispensable recherche d’un géométral sur le chemin qui mène à l’abstraction, c’est précisément contre «l’éloquence trompeuse des images» (E. Klein, 2023, p.171), autrement dit de ces faits qui s’imposent, semblent parler d’eux-mêmes, et imposent une interprétation qui semble relever de la pure évidence. (ibid., p. 182) Après examen on découvre que les apparences, - {i ce qui fait image, tel un trompe l’œil} -, révèlent une réalité contraire à ce qu’elles montrent. _p Il y a bien de la naïveté à prendre les évènements dramatiques rapportés, les situations traumatiques décrites et leur dramaturgie relatée dans leur sens premier, manifeste et littéral. Cependant, s’il ne s’agit pas pour autant de nier les faits invoqués, de contester leur exactitude et leur authenticité, il convient de ne pas perdre de vue que nous ne sommes ni des journalistes, ni des gendarmes, ni des juges d’instruction, etc., dont la fonction essentielle est d’établir les faits et le déroulé des évènements. En revanche, nous nous garderons d’oublier qu’il faut se méfier des évidences, des «faux-semblants » et {i y regarder… de plus près} ! _p On pourrait transposer ici ce que M. Serres (1993) dit des mathématiques{note_call 21} dont la spécificité et la fécondité procèdent de «l’élimination de l’empirique», qui coïncide avec «l’élimination de ce qui cache la forme» ({i ibid.}, p. 161), comme le bruit parasite, le brouillage, la friture sur la ligne, la cacographie ou la cacophonie qui, dans la communication, provoquent le malentendu, la méprise, le quiproquo et partant empêchent d’entendre et de comprendre {i de quoi il retourne} ! S’extraire des faits, de leur scénographie, de leur dramaturgie consiste à s’affranchir de ce qui {i en met plein la vue}, accapare l’attention, revient à s’intéresser paradoxalement à ce qui ne se voit pas ! C’est refuser de prendre en considération, contre toute attente, ce à quoi toute victime invite implicitement mais impérieusement : « {i regardez}… ce qui m’est arrivé, ce que j’ai vécu, subi, supporté, enduré…». E. Klein cite P. Valery qui ne croit pas si bien dire lorsqu’il a cette formule : « La vie est la chute d’un corps» ! ({i ibid.} 2023, p. 141) C’est à la loi relative à la chute des corps comme paradigmatique à laquelle je reviens encore ; la connaissance provient ici, non de ce qu’on observe, de ce qui se montre ou se donne à voir (les corps qui tombent plus ou moins vite selon leurs masses), mais de ce qu’on ne voit pas, comme la {i résistance de l’air}{note_call 22} ! A. Koyré ({i Études d’histoire de la pensée scientifique}) suggère que le défi de la science moderne c’est d’expliquer le réel par l’impossible. Ce qui contrevient à l’intuition, aux évidences, à la rationalité ordinaire, à la logique familière et pour cela paraît impossible dans la conception orthodoxe du monde qui, par ailleurs, nous semble naturelle (aller de soi), tel est le défi (auquel s’affrontent) ceux qui cherchent à savoir. _p Quant à la différence qui ne peut manquer d’opposer dans le champ de la réalité psychique les causes et les raisons, il convient de se souvenir de ce que rappelait Socrate à ses amis et disciples venus l’assister dans sa cellule de condamné à mort, s’étonnant, alors qu’il en avait l’opportunité, de ce qu’il ne se levait pas pour quitter sa cellule et prendre la fuite… : «Autre chose est la cause véritable, autre chose ce sans quoi la cause ne serait jamais cause !», réplique Socrate. (Platon. {i Le Phèdon}, 99 b) Il y a les différentes causes matérielles (les os, les muscles, le tendons), qu’on peut énumérer (explications par la physiologie et le mécanisme) et qui décrivent Socrate dans cette position corporelle-ci, qui rendent compte de sa présence et expliquent son {i être-là} dans l’ici et maintenant, mais celles-ci ne disent rien des raisons invisibles qui l’ont décidé à ne pas bouger et à subir l’injustice{note_call 23} de sa condamnation, quel qu’en soit le prix. C’est donc l’intentionnalité sous-jacente (consciente ou pas) plus que la disposition apparente des membres de son corps au repos qui sont le sens de son immobilité. _p Certes, il arrive qu’un cigare, comme le dit Freud, ne soit rien de plus qu’un cigare, mais il arrive aussi que selon le titre d’un conte de Marie Bonaparte préadolescente ({i Les petits cahiers noirs}), «un crayon de bouche», soit aussi plus et autre chose qu’un crayon{note_call 24} ! Eu égard à la nécessaire fonction interprétative de l’entreprise analytique, non seulement Freud peut dire à propos de ce qui peut passer pour de l’exégèse paranoïde : « j’ai réussi là où le paranoïaque échoue », mais réciproquement Lacan peut prétendre qu’une psychanalyse est « une paranoïa dirigée» ! Une analyse exige de part et d’autre une capacité interprétative et un présupposé herméneutique{note_call 25} comme principe axiomatique. Si les trouvailles relatives aux évènements méconnus, oubliés, refoulés, déniés peuvent s’avérer non négligeables, salutaires même, ce n’est pas à proprement parler ce qu’on trouve (ou exhume) qui importe principalement mais ce qui, de l’usage de la pensée, a été libéré, dé-assujetti au cours du travail analytique. Ce qui s’avère essentiel dans et par ce travail, c’est la réappropriation des modalités d’emploi et d’exercice de la pensée dans la diversité de ses compétences. Certes, la pensée peut-être entravée dans les possibilités et capacités de ses usages par de multiples obstacles ordonnés pour en limiter la pratique ou l’exercice inconsidéré ou malavisé ! Formatages, interdits, empêchements de penser, attaques contre les conditions de son exercice, «incorporats» (J-C . Rouchy, E. Diet), etc., sont autant de tétanisations ou de dévoiements de la pensée qui en stérilisent les capacités et traitements thérapeutiques. À cela s’ajoute l’ensemble des {i biais cognitifs} qui en paralysent le mouvement ou en orientent la trajectoire vers des impasses ({i des chemins qui ne mènent nulle-part}) épistémologiques{note_call 26}. Autant d’obstacles pour traiter ou palier les effets des évènements traumatogènes. Ce ne sont pas tant les évènements qui sont traumatogènes, mais ce qui par la soudaineté, la violence porte atteinte à l’ordre symbolique tout entier, en déchire le voile protecteur et compromet l’exercice d’une pensée déjà handicapée, mutilée par l’altération des conditions et modalités de son naturel et plein exercice. Guérir la pensée afin de lui permettre d’assurer le raccommodage de ce qui fut brutalement déchiré, c’est pouvoir prendre le risque et s’autoriser de penser contre sa raison, contre soi-même (habitudes, certitudes, croyances, idées reçues, préjugés, etc.), y compris, selon la formule de G. Bachelard, «contre son cerveau», et pour cela consentir à user pleinement des capacités et rapports paradigmatiques au fondement du langage ; autrement dit ou plus précisément s’autoriser à {i jouer} avec la ressemblance, la similarité, l’analogie, l’allégorie, la métaphore, la symbolique… (poussés jusqu’au délire ?). C’est cela, en un mot, interpréter ! La pensée n’est ni représentation, ni contemplation passive, mais processus, mouvement et cheminement, rappelait E. Klein. ({i ibid.}, p. 115) _p {i Jean-Pierre Vidal, Perpignan, le 19 janvier 2024} ;; Liste des notes : {{note_content 1} _p Dans plusieurs de ses lettres Van Gogh se reprochait d’être comme un «cheval de fiacre». «On se sait cheval de fiacre et on sait que ce sera encore au même fiacre qu’on va s’atteler». Si le cheval de fiacre est assujetti à son maître et aux activités spécifiques qu’il lui impose, ce qui le caractérise ce sont ses œillères, qui ne lui permettent pas de voir sur les côtés (ou autre chose que ce qui importe directement à l’accomplissement de sa tâche). } {{note_content 2} _p «La répétition n’engendre que la répétition, le pas à pas piétine sans arrêt possible.» (M. Serres. {i Les origines de la géométrie}. Flammarion, 1993, p. 288. } {{note_content 3} _p Cf. E. Klein. {i Matière à contredire}. Editions de l’Observatoire. 2018 et Ce qui est sans être tout à fait. Essai sur le vide. Actes Sud. 2019.} {{note_content 4} _p Parménide, considéré comme ce philosophe qui «se situe à l’origine de la pensée occidentale» (J. Beaufret. {i Le Poème de Parménide}. PUF.1955, p. 16). La phrase est citée par E. Klein. 2019. Ce qui est sans être tout à fait. Essais sur le vide. Actes Sud, p. 22. _p «Parménide se révèle être non pas le fondateur de l’ontologie ou le père de l’idéalisme, mais un pur “physicien ” qui, parce que très rigoureux dans sa démarche – {i il a fondé l’épistémologie que nous partageons tous depuis lors en Occident} –, a cherché à comprendre le monde tel qu’il est et a proposé un modèle, aussi puissant qu’original qui puisse en rendre compte» M. Sachot. {i Le Poème de Parménide}. Restauré et décrypté. Édition Numérique. Université de Strasbourg. [[https://univoak.eu|https://univoak.eu]] } {{note_content 5} _p Cité par E. Klein in {i Courts-circuits}. Gallimard. 2023, p. 80. } {{note_content 6} _p Cf. M. Serres. {i Les origines de la géométrie}. Flammarion, 1993, p. 289 ; } {{note_content 7} _p Cf. A. Moatti. {i Einstein. Un siècle contre lui}. Odile Jacob. 2007. } {{note_content 8} _p «Je parle depuis bien longtemps d’une {i guerre civile à bas bruit} en France. Ce bas bruit est devenu un vacarme épouvantable depuis qu’en réaction au pogrom du 7 octobre dernier infligé par des Palestiniens du Hamas à une population civile désarmée en Israël, on a vu sortir dans les rues d’Europe des peuples hétérogènes qui manifestaient en faveur de deux conceptions du monde radicalement antinomiques.» (M. Onfray, 11/12/2023) } {{note_content 9} _p «Aucune méthode inductive ne peut conduire aux concepts fondamentaux de la physique. L’incapacité à la comprendre est la plus grande erreur philosophique de nombreux penseurs du XIX ième siècle.» (A. Einstein) } {{note_content 10} _p «Qu’est-ce qui mieux que la physique quand on la prend au sérieux, nous invite à nous écarter de nos pensées les plus ordinaires ? … Le réel que révèle les physiciens contemporains n’a plus rien d’une bureaucratie des apparences.» E. Klein, 2018, p. 31 } {{note_content 11} _p Et l’histoire des sciences. Cf. P. Thuillier : « Galilée et l’expérimentation. Galilée a-t-il réellement fait les expérimentations dont il parle ? Les historiens des sciences sont loin d’être unanimes ». In {i La Recherche}, n° 143, avril 1983, pp. 442-454. } {{note_content 12} _p Cité par E. Klein. {i Matière à contredire}. 2018, p. 127) } {{note_content 13} _p R. Kaës, {i L’extension de la psychanalyse. Pour une métapsychologie de troisième type.} Dunod, 2015. _p J-P. Vidal, «Accompagnement psychanalytique des équipes institutionnelles, l’enjeu épistémologique décisif de la groupalité.», in {i Sous la direction} de J-P. Pinel et G. Gaillard. {i Le travail psychanalytique en institution. Manuel de cliniques institutionnelles.} Dunod. 2020, p. 195-225. } {{note_content 14} _p E. Klein. {i Matière à contredire}, p. 19, p. 32, p. 96. } {{note_content 15} _p Souligné par moi, J-P. V. } {{note_content 16} _p M. Houellebecq. {i Les particules élémentaires.} Flammarion, 1998. } {{note_content 17} _p E. Klein. {i Petit voyage dans le monde des quanta.} Flammarion. 2004. } {{note_content 18} _p Cf. B. Pascal. {i Expérience nouvelle touchant le vide.} Pierre Margat, octobre 1647. } {{note_content 19} _p D. Anzieu {i Naissance du concept de vide chez Pascal}, Nouvelle revue de psychanalyse, 1975, 11, p. 195-203. In {i Didier Anzieu, Le travail de l’Inconscient.} Textes choisis, présentés et annotés par R. Kaës. Dunod, p. 272-283. } {{note_content 20} _p «Le fantasme inconscient est ce qui alimente et organise notre effort pour trouver un sens à la réalité physique ; et la réalité physique, une fois pensée et formulée, nous assure les moyens mentaux et verbaux qui nous permettent d’identifier le fantasme dans sa réalité propre.» D. Anzieu. {b Naissance du concept de vide chez Pascal}, reproduit in {i Le travail de l’inconscient.} Dunod, 2009, p. 283. } {{note_content 21} _p On ne perdra de vue à propos des mathématiques qu’il y en a deux ! «L’esclave pense algorithmiquement, le maître n’oublie pas la géométrie», rappelle M. Serres, 1993, p. 290. } {{note_content 22} _p Il est bon aussi de rappeler ici que le poids de la pression atmosphérique (que nous ne ressentons pas dans nos activités banales et quotidiennes) est {b 10 tonnes} au mètre carré ! } {{note_content 23} _p Il y eut plus de voix pour le condamner à mort qu’il n’y en eut préalablement pour le déclarer coupable du chef d’accusation ! } {{note_content 24} _p «À propos de ce “CRAYON” Freud me dit, rapporte Marie Bonaparte dans son commentaire interprétatif, quand je lui montrai cette page : “ce crayon de bouche me semble suspect. Vous avez dû voir, enfant, une fellation.» in Genesis, N° 8, 1995. } {{note_content 25} _p Ce principe qui se veut un recours systématique à la fonction interprétative n’inclue pas pour autant que la psychanalyse soit une herméneutique. } {{note_content 26} _p «Les crises politiques que nous traversons sont fondamentalement épistémologiques.» (M. Serres, entretien dans {i La Tribune du 7 juin 2019}), cité par E. Klein in {i Courts-circuits.} Gallimard. 2023, p. 51. } ;; code des fonctions lambdatalk, des fonctions javascript et des styles {{hide} {def note_call {lambda {:n} {span {@ class="note_call" style="color:#f00; cursor:pointer;" onclick="close_all(); document.getElementById(':n').style.display='block'" }{sup (:n)}} }} {def note_content {lambda {:n} div {@ class="note_content" id=":n" style="display:none; position:fixed; top:100px; width:400px; margin:auto; left:50%; margin-left:-220px; padding:20px; box-shadow:0 0 8px #000; color:#800; background:#fff; font:normal 0.9em normal;" onclick="close_all();" } }} } {script var close_all = function() { var notes = document.getElementsByClassName('note_content'); for (var i=0; i < notes.length; i++) notes[i].style.display = 'none'; }; } {style @font-face { font-family: 'Quicksand'; src: url(data/quicksand.woff) format('woff'); } body { background:#ddd; } #page_content { background:#eee; font:normal 1.0em Quicksand, optima; } .page_menu { background:#ddd; } i { color:#333; } .note_content { display:none; } .note_call { cursor:pointer; } }
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